D’où vient l’Éducation Populaire ?
L’ensemble des opinions converge pour faire de Condorcet le père fondateur de l’Éducation populaire en citant son rapport devant l’Assemblée législative d’avril 1792, portant sur « l’organisation générale de l’instruction publique »…Il existe évidemment des initiatives antérieures, mais c’est la première fois que cette préoccupation est clairement inscrite dans un texte de loi, même si les mots « Éducation Populaire » ne sont pas encore prononcés. Il s’agit « d’offrir à tout individu de l’espèce humaine les moyens de pourvoir à leurs besoins, d’assurer leur bien-être, de connaître et d’assurer leurs droits, d’étendre et de remplir leurs devoirs […] et par là d’établir entre les citoyens une égalité de fait et rendre réelle l’égalité politique reconnue par la loi […] comme le premier but de l’Instruction nationale. »
Mais la révolution française va passer par là, interdisant les grèves, les syndicats, les mutuelles, bref toute coalition ouvrière est prohibée, c’est un retour en arrière significatif.…
Durant le XIXème siècle, le contexte politique est marqué par la question de la République et par l’émergence de la question sociale.
La Ligue de l’Enseignement créée en 1866, voit en son sein, Jean MACÉ œuvrer pour le développement des initiatives péri et post scolaires, la lutte pour l’école élémentaire, la formation du citoyen, c’est aussi la naissance des universités populaires. Dès lors deux courants de pensée émergent entre ceux qui veulent éduquer tout le peuple et ceux qui veulent « armer » ceux qui sont destinés à construire une autre société, à constituer une autre classe dominante…
Durant la fin du XIXème siècle il s’agit de conforter le concept républicain, de renforcer la démocratie, de démocratiser la culture, de développer la citoyenneté, de mobiliser la conscience sociale.
Pour moderniser la France, l’école publique doit pour une part répondre à des nécessités et des besoins sociétaux telle que la création d’une main d’œuvre formée. Dans le même temps, la création des premières bourses du travail en 1890 exprime la montée en puissance d’un fort courant lié au mouvement ouvrier.
Au cours de la fin du XIXe siècle et du début du XXe, la proclamation de la loi de 1901 sur les associations, dont le statut sera accordé aux mouvements de jeunesse en 1913, va permettre un grand développement des associations d’Éducation Populaire de toutes sortes. C’est un contexte favorable qui va voir l’émergence d’une multitude d’initiatives plus ou moins réussies en direction du monde populaire…
Trois courants vont œuvrer en même temps afin de mettre en place une forme d’Éducation Populaire. Même si leurs objectifs au départ ne furent pas les mêmes, chaque courant va œuvrer pour permettre aux individus d’accéder à une amélioration de leurs conditions d’existence et à un certain bien-être. Le courant laïc républicain avait dans ses priorités de lutter contre toute forme d’obscurantisme entretenu par l’Eglise et d’œuvrer pour un progrès social. Le courant chrétien social, lui, oriente sa lutte contre la misère et la pauvreté mais rejoint le premier sur sa vision proche d’un point de vue de l’éducation. Ce courant très souvent condamné par ses pairs ne perdurera pas dans le temps. Et un troisième courant plutôt ouvrier, celui-ci aura pour cheval de bataille de lutter contre le capitalisme, de défendre la classe ouvrière et de chercher à transformer socialement la société prolétarienne. Ce dernier veut développer un projet autonome dans tous les domaines y compris dans celui de l’éducation… La question de la jeunesse reste un enjeu majeur pour ces trois courants.
Le XXe siècle voit l’émergence du Front Populaire. En effet, en 1936, le Front Populaire constitue une nouvelle et grande rupture, de très nombreuses initiatives autour des loisirs et du temps libre naissent , c’est le passage aux quarante heures et l’accès aux congés payés … Le sport, les loisirs, la culture deviennent populaires…
Sous l’occupation, les questions de jeunesse et d’Éducation Populaire sont soumises à de nombreuses controverses. Mais à la Libération, le conseil de la Résistance va favoriser un nouvel essor de l’Éducation Populaire.
En effet, il se créée une direction des mouvements de jeunesse et de l’Éducation Populaire au ministère de l’Éducation nationale. …et c’est à partir de cette période, que le positionnement des intellectuels se modifie, ils sont plus intimement liés aux mouvements. On assiste à la création de la fédération des maisons de jeunes, puis à la création des comités d’entreprise. C’est aussi la période des « trente glorieuses» avec un développement sans précédent des loisirs et du temps libre.
Toute cette période est marquée par une relation particulière entre l’État et les acteurs de l’Éducation Populaire…On peut parler même d’un réel partenariat, on y perçoit une certaine coopération et des engagements communs pour un développement et une modernisation du pays. On voit également se développer dans les villes et les quartiers populaires de nombreuses initiatives qui ressortent de l’Éducation Populaire dans le domaine de la jeunesse et de la culture en particulier. Un mouvement de décentralisation culturelle et surtout au niveau du théâtre se met en œuvre aussi.
Cette période s’achève en 1968 avec la modernisation qui n’a pas été assez rapide et une société de consommation qui oublie les masses populaires. La loi de 1971 sur la formation professionnelle continue et sur la formation permanente est sans doute la dernière manifestation d’un développement assez consensuel du secteur. Le terme d’Éducation Populaire est de plus en plus recouvert par ceux d’animation socioculturelle, de formation permanente, d’action culturelle.
Dans les années 80 avec la montée des difficultés économiques et le choix de la politique de rigueur en voit la naissance d’une instrumentalisation des organismes et des structures de l’Éducation Populaire dans des dispositifs d’État. L’émergence de certains bouleversements économiques et sociaux vont modifier le paysage associatif, ainsi la préoccupation de l’insertion devient prioritaire avec celle de la prévention de la délinquance, au détriment de celles des loisirs entre autres.
Mais au fait, l’Éducation Populaire qu’est-ce que c’est ?
Il est souvent difficile de donner une définition de l’Éducation Populaire. Très souvent, les représentations qui sont données de l’Éducation Populaire ne sont pas très exactes. L’Éducation Populaire c’est l’ensemble de toutes ces choses qui permettent à une personne de se construire aussi bien de manière individuelle que collective. Elle vise à l’amélioration de la vie de la personne.
L’Éducation Populaire c’est de l’éducation, mais pas sous forme de don ,c’est une éducation construite, conscientisée et partagée. L’individu se construit avec les autres tout en restant acteur de sa propre construction. Il n’y a pas qu’un modèle d’éducation populaire mais une multitude de manières de se construire. L’important étant de rester acteur dans son propre développement.
L’apprentissage passe par l’action collective. L’action collective a une fonction importante dans la construction de l’individu, l’individu se construit au sein d’un groupe social et non tout seul dans son coin. La compréhension d’un modèle social transformable permet à l’individu d’agir sur sa propre construction au sein de ce même modèle sociétal.
L’action collective est un espace de construction, de relation, d’élaboration collective de la pensée, de solidarité. Il est important de le vivre et d’appréhender la puissance de l’action collective.
En effet, on peut citer Paulo FREIRE (pédagogue du Brésil, pédagogie de l’opprimé) qui disait : « Personne n’éduque personne, personne ne s’éduque seul, les hommes s’éduquent ensemble par l’intermédiaire du monde ».
L’éducation populaire s’adresse à tous et elle est de tous les instants. Chaque individu doit y avoir accès tout au long sa vie. Nul ne peut être privé de cette éducation à la fois émancipatrice et fondatrice pour lui-même.
L’individu est à la fois objet et sujet. Ceci nous renvoie au fait que l’individu se retrouve dans un modèle où il est acteur et récepteur, mais qu’à tout moment il en reste conscient. Il agit sur sa propre construction ainsi que sur celles des autres.
L’Éducation Populaire a une vision sociale et un objectif de transformation sociale. Elle s’inscrit au sein d’une politique d’émancipation individuelle et collective. Elle permet l’engagement, la projection, la participation dans le développement local et ce de façon durable ou non. Le milieu associatif contribue et participe à la transformation sociale par la mise en œuvre de démarches spécifiques ayant pour objectif d’améliorer la qualité de vie des personnes.
L’éducation populaire s’inscrit dans des espaces associatifs militants démocratiques. L’éducation populaire doit faire vivre la démocratie participative. Elle est une condition essentielle et elle doit être de tous les instants. L’individu doit pouvoir être le même quel que soit l’instant. On ne peut être pédagogue dans sa vie professionnelle et non pédagogue dans sa sphère privée ou l’inverse… ou de façon cyclique… De plus, la démocratie ne peut pas s’instruire, elle s’apprend parce qu’on la pratique. C’est pourquoi elle est de tous les instants…
Pour finir l’éducation populaire ne peut être portée qu’au sein de nos associations militantes qui œuvrent pour la prise en compte des personnes, leur développement et l’amélioration de leur vie.
L’Éducation Populaire au sein de nos structures socioculturelles…
Il y a tout d’abord la marchandisation d’une partie importante des activités des associations de l’Éducation Populaire. Pendant longtemps, qu’il s’agisse d’animation socioculturelle, de loisirs et de culture pour les salariés, de tourisme social ou de formation permanente, les acteurs de ces secteurs ont toujours été des associations ou le service public. A l’heure actuelle, une partie importante de ces activités est investie par des entreprises privées et commerciales essentiellement motivées par la recherche du profit. L’Éducation Populaire ne peut avoir de lien avec le secteur marchand. Elle ne peut être portée que par le milieu associatif parce qu’elle défend des valeurs humanistes et un projet de développement. C’est le militantisme qui est l’essence même de l’Éducation Populaire, son engagement est volontaire et libre. Le militantisme s’inscrit dans un projet, il nécessite donc d’y adhérer et de contribuer à la mise en œuvre de ce projet. Mais aujourd’hui nos associations sont de plus en plus malmenées, discréditées, jusqu’à ne plus être considérées comme de véritables partenaires mais plutôt comme des prestataires de service, et ceci a une influence négative sur l’engagement associatif et donc le militantisme.
L’Éducation Populaire souffre actuellement d’une professionnalisation extrême relayant ainsi tout militantisme au second plan loin derrière les financeurs. Celui-ci étant donc devenu secondaire. La professionnalisation des métiers de l’animation, qui n’est pas ici remise en cause bien au contraire, n’est pas sans conséquences, en effet, nous notons une évolution sociologique des personnels qui nous entraîne peu à peu du militantisme propre au militantisme salarié, du salarié avec des valeurs communes au projet de la structure qui bascule jusqu’au salarié de qualité mettant en place un service… Mais où le militantisme de base, celui qui permet la mise en place et la mise en œuvre de nos projets de structure, est-il ? Ce militantisme n’est plus la priorité, et pourtant il est essentiel au bon fonctionnement de nos structures.
De plus, la gestion financière des structures avec ses différentes contraintes de gestion comme celle par exemple de la masse salariale qui représente la plupart du temps plus de 70 % des charges d’une structure socioculturelle, réduit l’autonomie du projet au profit des exigences du ou des financeurs. Les logiques de gestion financière se sont peu à peu imposées au détriment d’une recherche d’efficacité sociale et culturelle au service d’un projet fort, partagé et porté par les différents acteurs associatifs.
L’Éducation Populaire doit retrouver rapidement un équilibre entre ces différentes contraintes, elle doit faire sens avec ce qui l’a portée tout au long de son histoire, elle doit redevenir un outil permettant aux individus de se construire tout en étant acteur de leur propre construction. Ses fondements premiers doivent rester ses axes de priorité. En effet, il ne faut pas perdre de vue que l’Éducation Populaire est née afin de promouvoir une éducation visant l’amélioration de notre système social.
Elle se nourrit de nos préoccupations éducatives et émancipatrices. Ainsi, le loisir éducatif ne peut être supplanté par l’insertion professionnelle et l’occasionnellement, la prévention par la sécurité… Nos politiques «jeunesse» ne peuvent être délaissées au profit d’un équilibre financier, nos orientations politiques doivent rester cohérentes avec notre projet éducatif et en adéquation avec ce qui a fait et qui continue à faire l’Éducation Populaire. L’Éducation Populaire ne peut pas répondre à une politique de marché, elle est là pour répondre aux politiques sociales émanant d’un territoire. C’est pourquoi nos actions ne peuvent être menées qu’en contact étroit avec la réalité.
En cette période où l’Éducation Populaire est souvent malmenée, incomprise et mal interprétée par nos politiques, il va falloir réaffirmer nos objectifs et nos priorités afin de retrouver une Éducation Populaire au service de notre modèle social où tout être humain doit avoir la possibilité de se développer et même se transformer au cours de sa vie.
Notre combat contre toutes les formes d’exclusion et notre engagement pour la liberté de conscience, d’expression, pour l’émancipation et le combat contre toutes les formes d’obscurantisme et toutes les aliénations, doivent être de tous les instants.
Écrit par Patrick BOURRIAUD
Membre associatif «association CEMEA»
administrateur de la Maison de Quartier SEVE